Se donner le droit d’évaluer autrement
Introduction
Depuis maintenant plusieurs années, l’évaluation est un sujet de discussion et pourtant, elle est toujours au cœur de nombreux échanges dans les rencontres d’enseignants sans toutefois faire consensus. Les conversations entourant l’évaluation ne se limitent pas aux murs de l’école. Tout le monde est passé par le système d’éducation, tout le monde a une opinion, une suggestion, une phrase du type : dans mon temps… Les parents, les enseignants, les élèves, la famille ont tous une expérience scolaire différente qui pousse les spécialistes de l’éducation à se questionner sans cesse. Cependant, il ne faut pas oublier que l’éducation, tout comme la médecine, est une science qui évolue. Accepteriez-vous qu’un chirurgien cardiaque vous opère selon les anciennes méthodes sous prétexte que cela a toujours fonctionné quand on sait aujourd’hui qu’on peut faire autrement?
Repenser l’évaluation : un levier au service de l’apprentissage
Il faut accepter que l’évaluation évolue. On ne peut plus évaluer comme avant en sachant que l’évaluation doit être au service de l’apprentissage et qu’on doit aller vers une culture axée sur celle-ci plutôt que sur l’enseignement. Il y a un changement de posture qui s’opère. On différencie l’évaluation, on passe du paradigme d’évaluation par notes à celui de l’évaluation par collecte de données.
C’est là que mille et une questions apparaissent dans la tête des enseignants:
- Est-ce que j’ai le droit de récolter différentes preuves autres que celles à l’écrit?
La réponse est OUI.
- Est-ce que les preuves d’apprentissages peuvent être différentes d’un élève à l’autre?
La réponse est OUI.
- Est-ce que c’est correct de permettre aux élèves de s’entraider alors qu’on les évalue individuellement?
La réponse est OUI.
- Comment vais-je faire à l’approche du bulletin pour porter mon jugement et me sentir solide devant les parents en ayant moins de traces écrites?
Différencier l’évaluation vient aussi avec un lot de questionnements et de commentaires sur l’équité, l’égalité et la justice. Une phrase type que l’on peut entendre : « ben voyons, ce n’est pas juste, on nivelle vers le bas maintenant en éducation ». Pour certains enseignants, ces questionnements et commentaires les empêchent d’emboiter le pas. Ces spécialistes de l’éducation ne se sentent pas assez solides à l’approche du bulletin.
De plus, il y a beaucoup de craintes entourant un changement de pratique. Les enseignants ont aussi l’impression de devoir tout refaire : outils d’évaluation, méthode d’évaluation, prise de données différentes. Bref, c’est un grand virage. Ça vient avec un lot de défis, et en plus, ces changements se vivent sous les yeux :
des collègues qui ne font pas le même changement et qui attendent de voir si ça vaut la peine ;
des parents qui ont grandi dans un système d’éducation différent de celui d’aujourd’hui ;
de nos élèves qui ont des expériences scolaires différentes.
Les enseignants ont besoin d’assises théoriques sur lesquelles s’appuyer pour évaluer autrement. C’est un changement de paradigme, on voit le rôle de l’évaluation autrement et il est en appui à l’apprentissage. Pour aider les enseignants, il faut défaire les mythes en évaluation. Les rôles de l’évaluation sont de vérifier la progression de l’élève, de lui fournir de la rétroaction pour s’améliorer et de communiquer aux parents cette progression. Elle sert aussi en certification des acquis dans le but de réaliser un classement.
S’appuyer sur les valeurs ministérielles pour transformer l’évaluation
Pour défaire les mythes en évaluation, on peut s’appuyer sur la politique d’évaluation des apprentissages du ministère qui présentent 6 valeurs orientant nos actions et qui dessinent notre marge de manœuvre.
L’élève a le droit de reprendre une évaluation. Il peut demander une révision de notes même s’il est en réussite.
Dans la politique ministérielle, on a le droit de se reprendre en tout temps. Si on voit qu’un élève a moins bien réussi la production demandée, il est possible de lui offrir l’opportunité de démontrer sa compétence d’une autre façon, par une entrevue, par des observations recueillies.
Ce qui doit être uniforme pour tous ce sont les objets d’évaluation et les critères d’évaluation, la modalité peut varier d’un élève à l’autre.
C’est là que la triangulation des preuves d’apprentissage est intéressante, l’enseignant.e peut aller chercher des traces en production, en conversation et en observation. On voit souvent un visuel qui est intéressant sur le fait que l’élève pourrait avoir plus de productions, moins d’observations et moins de conversations et pour l’autre élève, ce serait différent.
Ce qui est équitable, c’est de fournir aux élèves les outils nécessaires pour démontrer leurs apprentissages.
L’enseignant.e tient compte des caractéristiques individuelles de plusieurs élèves en leur offrant les outils nécessaires.
L’évaluation concerne directement ce qui a été enseigné, conformément aux attentes du programme.
Les traces d’apprentissage recueillies sont en lien direct avec ce qui a été annoncé aux élèves et c’est là-dessus que l’enseignant.e évalue et donne ses rétroactions. Il n’y a pas de surprise.
Le jugement professionnel de l’enseignant.e s’appuie sur des traces pertinentes et suffisantes afin de maintenir des actions qui vont servir à faire progresser l’élève.
Tous les élèves ne doivent pas avoir le même nombre de traces ni les mêmes traces. L’important, c’est qu’elles soient variées et suffisantes pour pouvoir porter un jugement sur chaque élève. La rétroaction fait partie intégrante d’une évaluation rigoureuse.
L’élève doit connaître les cibles d’apprentissage évaluées et les critères d’évaluation, et avoir un modèle explicite des attentes pour réussir.
L’enseignant travaille avec transparence dans sa classe et offre des modèles aux élèves sans penser que c’est du plagiat. L’élève sera au courant de sa progression et sera capable de s’autoévaluer et ainsi être un porte-parole auprès de ses parents pour expliquer ses forces, ses capacités, ses défis et ses limites. On enlève un poids sur les épaules des enseignants quand vient le temps du bulletin.
Un constat : la politique d’évaluation nous donne le droit de faire autrement, elle est une assise puissante. Il faut donc se permettre de changer notre regard sur l’évaluation.
Conclusion
3 conseils en rafale
1. Assurez-vous d’être clair avec vos élèves, avec vos intentions pédagogiques et d’être en cohérence avec les encadrements légaux. Ça donne confiance. Et surtout, faites-le en équipe collaborative.
2. Travaillez en collecte de données variée : productions, conversations et observations (triangulation). Ça sécurise et les données seront variées.
3. Offrez des rétroactions efficaces aux élèves, permettez-leur de s’en offrir entre eux et utilisez l’autoévaluation. Ça deviendra un travail d’équipe.
N’oubliez jamais que vous aurez toujours un partenaire précieux dans ce virage : l’élève, qui peut participer à la prise de données pour porter un jugement sur ses apprentissages. Les élèves se font les porte-paroles de leur réussite auprès de leurs parents.
Pour aller plus loin
Ministère de l’Éducation. (2003). Politique d’évaluation des apprentissages - Version abrégée (publication ISBN 2-550-41485-3). https://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/dpse/evaluation/13-4602-03.pdf
Un peu plus sur l'autrice
Bachelière en adaptation scolaire, Amélie a toujours usé de sa passion et de sa créativité pour répondre aux divers besoins des élèves. Elle chapeaute plusieurs chantiers en soutien à la diversité en classe en plus de collaborer avec des équipes pour favoriser le développement pédagogique et mettre en place des mesures universelles et inclusives dans les écoles. Il y a quelques années, Amélie a développé un programme de formations pour les enseignants-LEAD, qui rayonnent actuellement dans les écoles, et poursuit cette collaboration en tant que gestionnaire en inclusion scolaire. Ce projet a d’ailleurs valu à l’équipe un prix de la Fédération des centres de services scolaires. Amélie planche également sur plusieurs projets de développement qui visent à améliorer les pratiques inclusives en mettant à profit la recherche.