Introduction
- Ta phrase est trop longue : Une idée, une phrase!
- Quand tu fais une petite pause, tu mets une virgule.
Qui n’a pas déjà utilisé ce type de formulation pour tenter d’expliquer aux élèves que leur phrase est mal construite, que leur ponctuation est déficiente ou que leur style est répétitif?
Nous le savons, les élèves éprouvent des difficultés à formuler et à ponctuer des phrases lors de situations d’écriture. L’étude de Boivin et Pinsonneault (2018) montre que le critère « syntaxe et ponctuation » est un des plus échoués aux épreuves obligatoires de français. En outre, les enseignants disent avoir peu de moyens pour enseigner cette dimension de la langue écrite (Giguère et al., 2018). Pour réellement enseigner à construire, à bonifier et à délimiter des phrases, une séquence didactique d’une vingtaine d’activités a été expérimentée par l’équipe de Marie Nadeau et ses collaboratrices (2020). Trois dispositifs constituent cette séquence.
Qu’est-ce qu’une phrase?
La première activité de la séquence didactique expérimentée consiste à clarifier les notions de « phrase graphique » et de « phrase syntaxique ». Les élèves sont invités à manipuler des constituants de phrases sur des cartons de couleur. Ils doivent d’abord construire une phrase en utilisant uniquement deux cartons. Leur intuition linguistique (ou jugement de grammaticalité) les amènera à identifier que seuls deux constituants (deux cartons) peuvent produire des phrases bien construites, soit un sujet et un prédicat, dans cet ordre. C’est ce qu’on appellera la « phrase syntaxique ». Du contexte peut être ajouté à une phrase syntaxique par un ou plusieurs autres cartons qui auront la fonction de complément de phrase.
Par exemple : Le chef du village viking parle aux membres de sa tribu autour du feu.
Par la suite, les élèves sont invités à relier deux phrases syntaxiques à l’aide de cartons de ponctuation (virgules) et de conjonctions (de coordination ou de subordination). Lorsque cette phrase combinée est ponctuée, elle commence par une majuscule et se termine par un point; il s’agit de la « phrase graphique ». Cette phrase graphique peut être construite d’une seule phrase syntaxique ou de plusieurs phrases syntaxiques à condition qu’un procédé de combinaison soit présent pour les relier.
Par exemple : Ces combattants ne l’écoutent pas attentivement parce qu’ ils connaissent ce récit par cœur.
Ces notions sont réinvesties dans les deux autres dispositifs de la séquence : la ponctuation négociée (inspirée de la Phrase dictée du jour, Nadeau et Fisher, 2014) et la combinaison de phrases.
La ponctuation négociée
Lors d’une activité de ponctuation négociée, un court texte non ponctué (mais bien construit) est fourni aux élèves. Ceux-ci doivent d’abord replacer la ponctuation de manière individuelle. (Voir exemple)
Les différents signes sont ensuite reportés au tableau afin de permettre une négociation collective et une justification des différents signes proposés (par exemple : « moi, j’ai mis une virgule ici »; « moi, j’ai mis un point et une majuscule sur le mot suivant »; « moi, je n’ai rien mis »). La délimitation des phrases syntaxiques prend alors un sens en contexte puisque la délimitation des phrases graphiques en dépend. Afin de soutenir les élèves dans l’identification des phrases syntaxiques, une méthode en 4 étapes est proposée :
identifier le verbe conjugué;
identifier le sujet de la phrase;
identifier le ou les compléments de phrase;
identifier le prédicat de la phrase.
Toutes ces étapes sont justifiées par au moins deux manipulations syntaxiques. Une fois les phrases syntaxiques repérées, il devient plus aisé de délimiter les phrases graphiques et de justifier les virgules associées à des déplacements, des énumérations, des ajouts de compléments, etc. Le dispositif de ponctuation négociée permet aux élèves de s’approprier une réflexion métalinguistique (sur la structure des phrases) et un métalangage précis partagé dans la classe.
La combinaison de phrases
Quant au dispositif de combinaison de phrases, il s’agit de proposer aux élèves quelques phrases courtes et répétitives qu’ils devront combiner en une seule phrase graphique. Cet exercice se fait d’abord individuellement : les élèves sont invités à combiner les phrases d’origine de deux manières différentes. Par la suite, l’enseignant.e recueille les phrases combinées et en choisit deux qu’il ou elle soumet à l’analyse collective en fonction de leur originalité, de leur procédé semblable (ou différent), d’un enseignement réinvesti, etc. L’objet de la discussion porte sur les procédés utilisés pour combiner les phrases (par exemple : la coordination de phrases ou de groupes syntaxiques, la subordination, l’utilisation de compléments de phrase ou de compléments du nom, etc.) et leur effet sur le lecteur.
Par exemple :
P1 : Elle semblait naïve.
P2 : Elle semblait discrète.
P3 : Elle était une agente secrète.
P4 : Elle était redoutable.
P5 : Elle était capable de soutirer des informations à quiconque.
Phrases choisies pour l’analyse :
1- L’agente secrète semblait naïve et discrète, mais elle était redoutable et elle était capable de soutirer des informations à quiconque. (Exemples de procédés : coordinations de phrases syntaxiques, groupe du nom enrichi.)
2- Le meurtrier regretta amèrement de s’être laissé soutirer des informations par cette redoutable agente secrète qui avait pourtant l’air naïve et discrète. (Exemples de procédés : ajout de contexte, groupe du nom enrichi.)
Les activités de cette séquence didactique commencent toutes deux par des phrases bien construites. Plus les élèves développent des habiletés d’analyse, plus les phrases proposées peuvent montrer des maladresses ou des erreurs et les élèves devront les corriger par une réécriture. Cette confrontation à des maladresses ou à des constructions erronées rapproche la tâche source (l’exercice) de la tâche cible (la situation d’écriture). De plus, afin de conserver une trace des réflexions collectives, les élèves sont invités à nommer un apprentissage réalisé pendant l’activité (par exemple : une phrase syntaxique peut avoir plusieurs compléments de phrase, deux phrases syntaxiques peuvent être reliées par le pronom relatif « qui », etc.). Ces apprentissages sont soumis par les élèves et reformulés par l’enseignant.e avant d’être consignés dans une section du cahier de l’élève et sont disponibles pour consultation d’une activité à l’autre ou dans les situations d’écriture.
Enfin, les activités de cette séquence didactique sont plus efficaces si l’enseignant adopte une posture de guide que s’il ou elle dirige entièrement la réflexion (Nadeau et Fisher, 2014; Myhill et Newman, 2016). Pour ce faire, des gestes professionnels associés à la didactique de la grammaire (Brissaud et Cogis, 2011; Fisher, à paraitre) sont suggérés comme écouter les hypothèses des élèves et les faire expliciter leur raisonnement, demeurer neutre lorsque les hypothèses sont émises, utiliser le métalangage de manière appropriée, exiger des preuves syntaxiques du raisonnement grammatical, etc. En se plaçant de plus en plus en retrait, passant du modelage au guidage, l’enseignant.e diminue le soutien aux élèves et ces derniers peuvent ainsi s’approprier réellement les stratégies à réinvestir. Cette posture place les élèves dans une situation de résolution de problème collective autour de la langue et de son fonctionnement, ce qui favorise le transfert de ces habiletés en écriture.
Pour aller plus loin
Groupe Facebook privé : Dictée 0 faute, phrase dictée du jour, combinaison de phrases et plus… Le matériel nécessaire aux activités y est fourni.
À venir : Autoformation numérique (Cadre21.org).
Nadeau, M. et Fisher, C. (2006). La nouvelle grammaire, la comprendre et l’enseigner. Gaétan Morin.
Arseneau, A., Nadeau, M., Fisher, C., Giguère, M.-H. et Quevillon Lacasse, C. (2023). Améliorer la ponctuation des élèves : expérimentation en classe et résultats dans des textes d’élèves du primaire et du secondaire au Québec. Didactique, 4(1) : 81-116.
Nadeau, M., Quevillon Lacasse, C., Giguère, M.-H., Arseneau, R. et Fisher, C. (2020). Operationalizing the notion of ‘sentence’ in french L1 to support the teaching of syntax and punctuation through innovative devices. L1-Educational Studies in Language and Literature, 20, 1-28.
Quevillon Lacasse, C., Nadeau, M., Fisher, C., Giguère, M.-H. et Arseneau, A. (accepté). Effets d’une intervention en syntaxe et en ponctuation sur la complexité syntaxique en production écrite chez des élèves de 3e cycle primaire et de 1re secondaire en français langue d’enseignement. Revue canadienne de linguistique appliquée.
Boivin, M.-C. et Pinsonneault, R. (2018). Les erreurs de syntaxe, d’orthographe grammaticale et d’orthographe lexicale des élèves québécois en contexte de production écrite. Revue canadienne de linguistique appliquée, 21(1), 43-70.
Giguère, M.-H., Nadeau, M., Fisher, C., Arseneau, R. et Quevillon Lacasse, C. (2018). Dialogue enseignants-chercheurs dans un accompagnement différencié pour développer les savoir-faire des élèves en syntaxe et ponctuation. Dans Briquet-Duhazé, S. et Turcotte, C. (dir). De la recherche en lecture/écriture à la pratique, ISTE, 37-65.
Myhill, D. et Newman, R. (2016). Metatalk: Enabling metalinguistic discussion about writing. International Journal of Educational Research, (80), 177-187.
Nadeau, M. et Fisher, C. (2014). Expérimentation de pratiques innovantes, la dictée 0 faute et la phrase dictée du jour, et étude de leur impact sur la compétence orthographique des élèves en production de texte. Rapport de recherche, FRQSC, Programme Actions concertées.
Nadeau, M., Giguère, M.-H. et Fisher, C. (2020). Expérimentation de dispositifs didactiques en syntaxe et en ponctuation « à la manière » des dictées métacognitives et interactives, au 3e cycle primaire et 1er cycle secondaire et effet sur la compétence en écriture.Rapport de recherche, FRQSC, Québec.
Un peu plus sur l'autrice
Marie-Hélène Giguère est professeure au département d’éducation et de formation spécialisées de l’UQAM. Elle s’intéresse à l’enseignement de la grammaire et de l’écriture de même qu’au développement professionnel du personnel enseignant.