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Une classe sans notes : oui, mais comment?

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Introduction

Évaluer sans note, c’est replacer l’élève au cœur du processus d’évaluation. Malgré les pressions extérieures, il importe de se rappeler que c’est d’abord à lui que l’évaluation doit servir. Avant tout, l’élève doit se connaître comme apprenant, reconnaître ses forces et ses défis et savoir comment il peut progresser. Ce sont ces éléments qui doivent guider notre enseignement, notre rétroaction et nos méthodes évaluatives. Comment y arriver? Cet article propose quelques pistes pour vous guider.

Qu'est-ce que ça amène?

Évaluer sans attribuer de notes signifie remettre l’élève au centre du processus d’évaluation, car en fin de compte, c’est à son bénéfice. Les notes peuvent être source de stress pour les élèves, ne fournissent pas toujours une vision complète de leurs compétences et de leurs progrès et accentuent la comparaison entre pairs. L’évaluation sans notes met l’accent sur le développement des compétences plutôt que sur la simple attribution d’une note. Elle remplace surtout la note par une rétroaction constructive qui permet à l’élève de bien comprendre ses points forts et ses défis et de maitriser les différents critères d’évaluation. Ainsi, l’évaluation est vue comme un outil constructif plutôt que comme une sanction.

Un processus riche et inclusif

Tous les élèves ont besoin de soutien et de rétroaction, qu’ils aient des difficultés d’apprentissage ou non. En évaluant de cette façon, on normalise l’erreur et le besoin d’aide. Ne pas avoir de note rend le mot « évaluation » beaucoup moins intimidant. Il permet, entre autres, aux élèves ayant des défis de ne pas être confrontés à l’échec au quotidien et d’augmenter leur sentiment de compétence.

Comme la note a été remplacée par une rétroaction orale ou écrite fréquente, les élèves ne voient pas l’évaluation comme une conséquence négative, mais plutôt comme un outil d’apprentissage pour progresser. Depuis que j’évalue sans note, j’observe que les élèves se comparent davantage à eux-mêmes et beaucoup moins entre eux. On encourage davantage la motivation intrinsèque. En effet, l’objectif de l’élève n’est pas « d’avoir une bonne note », mais plutôt de faire de son mieux, d’aller au plus loin de ses capacités. Il demeure alors dans sa zone proximale de développement sans se soucier du regard des autres puisqu’il ne peut pas se comparer par rapport aux notes. La progression est alors fulgurante quand on ne se soucie pas d’être meilleur que les autres! 

Deux grands avantages d’une évaluation non chiffrée

Dans ma classe, le mot « évaluation » est souvent prononcé. Quotidiennement, hebdomadairement. Pourquoi? Pour amener les élèves à bien comprendre ce que cela implique et son utilité. Je leur répète souvent que c’est un processus important autant pour eux que pour moi. 

  1. D’abord, pour qu’ils puissent mieux se connaître comme apprenants. Reconnaître ses forces est un puissant levier d’apprentissage. Il permet à l’élève d’augmenter son sentiment de compétence et, ainsi, de s’engager davantage dans la tâche. Plus ils avancent dans leur parcours scolaire, plus mes élèves arrivent à identifier les stratégies qui leur conviennent. L’échange entre eux et moi s’en trouve grandement enrichi.

  1. Dans mon travail quotidien, l’évaluation sans notes me permet de mieux connaître mes élèves. Je donne tellement de rétroaction sur leur niveau d’aisance ou de maîtrise d’un concept, que cela me permet ensuite d’ajuster ma planification. Mieux encore, en m’éloignant des méthodes évaluatives plus traditionnelles pour évaluer de différentes façons, j’arrive à cibler les dispositifs qui permettent aux élèves de vraiment démontrer leurs compétences. Je leur rappelle souvent que j’ai besoin d’eux pour savoir quoi leur enseigner et comment le faire. En d’autres mots, ce sont mes élèves qui guident ma planification et mes dispositifs d’enseignement.

Place à l’autoévaluation

Pour y arriver, les élèves s’autoévaluent régulièrement. Parfois, c’est une question à main levée, les yeux fermés.

«Nous venons de faire plusieurs périodes sur les fractions équivalentes. Levez la main ceux qui considèrent qu’ils maitrisent cette notion. Ceux qui ont encore besoin de s’exercer. Ceux qui ont besoin d’aide. Ceux qui ne se sentent pas du tout à l’aise.»

 

D’autres fois, c’est une légende qu’ils inscrivent dans leur cahier. Puis, dans leur agenda, ils complètent une autoévaluation mensuelle à propos des différentes disciplines. Plus vos élèves le feront, meilleurs ils seront pour cibler leurs forces et leurs défis. En prime, cela nous permet de comparer nos perceptions. Un beau déclencheur pour une discussion riche avec l’élève, et même avec ses parents lors de la rencontre du bulletin.

Comment s’y prendre? La triangulation des traces

L’évaluation chiffrée peut parfois diriger certains enseignants vers des méthodes évaluatives plus traditionnelles. Personnellement, le fait de ne pas évaluer mes élèves avec des notes, mais des codes de couleurs, commentaires, grilles de compétences, etc., me donne une certaine latitude quant au format d’évaluations que je choisis. Qui dit « trace évaluation » ne dit pas forcément « travail écrit pour les élèves ». Il est essentiel de recueillir des traces variées dans différents contextes : des traces d’observations, de conversations et de productions. Pour y arriver, utiliser des outils de prise de notes efficaces est facilitant.

Pour noter mes observations, je prépare souvent, en amont, une liste d’élèves où j’inscris mes critères d’observation. À l’aide d’une légende, je peux alors offrir une rétroaction directe (orale) aux élèves en cours d’apprentissage et noter le niveau de soutien que je leur apporte. Comme il est impossible d’observer tous les élèves chaque fois, cette liste me permet aussi d’avoir une vision globale et de prioriser les élèves pour qui j’ai moins de traces la prochaine fois.

Il en va de même pour les traces de conversations. En questionnant les élèves, j’ai un accès direct à leur compréhension. Cela me permet d’avoir un portrait plus juste puisque j’ai la possibilité de poser des questions de relance. C’est aussi une occasion d’apprentissage pour l’élève. D’ailleurs, la recherche démontre que la rétroaction orale est beaucoup plus efficace que celle écrite.

Finalement, les productions faites de façon autonome me permettent de compléter le portrait de l’élève. Je considère alors l’ensemble des traces recueillies (observations, conversations et productions) pour porter mon jugement final, en fin d’étape, pour chacune des compétences.

Et la note dans le bulletin?

Comme la majorité des milieux ont des bulletins chiffrés, on n’y échappe pas! Toutefois, il n’est pas nécessaire d’en avoir au quotidien. Lorsque vient le temps de porter notre jugement sur une compétence en fin d’étape, toutes les traces recueillies (observations, conversations et productions) sont valables et doivent être prises en compte. C’est ce qui nous permet d’exercer notre jugement professionnel de façon rigoureuse et de pouvoir justifier le chiffre ou la cote qu’on octroie à l’élève.

D’ailleurs, il est essentiel d’annoncer nos couleurs aux parents dès le début de l’année. Pour amorcer ce changement de pratique, il est primordial d’être transparent en expliquant nos pratiques évaluatives. Dès la rencontre d’informations de début d’année, expliquez comment vous donnerez de la rétroaction à vos élèves et comment vous témoignerez de leurs progrès. Cela diminuera la résistance et laissera place à des discussions riches et enrichissantes lors des rencontres de bulletin. Il vous sera alors plus facile de répondre à la question : « Comment puis-je aider mon enfant? »

Conclusion

Un élève m’a déjà dit : « Lucie, on va t’aider à mieux nous aider. » Cette phrase témoigne bien du sens qui peut être donné à l’évaluation lorsqu’on met de côté les notes. Quand les élèves arrivent à nommer leurs forces, leurs défis et les moyens qui leur permettent de progresser, on a déjà gagné! Quand les commentaires et la rétroaction remplacent la note, les élèves peuvent même nous conseiller sur notre façon d’enseigner et de mieux les accompagner. N’est-ce pas à ça que devrait servir l’évaluation?

Pour aller plus loin

À lire

Article Évaluer à l’aide de la littérature jeunesse, écrit par Lucie Béchard pour le blogue J’enseigne avec la littérature jeunesse

Livre didactique Et si on s'intéressait aux réponses des élèves écrit par Julie Provencher

Références bibliographiques

Gagnon, L. (2021). Les « classes sans notes » : vers une évaluation au service des apprentissages. CTREQ. Consulté le 17 juin 2024 [https://rire.ctreq.qc.ca/les-classes-sans-notes-vers-une-evaluation-au-service-des-apprentissages/]


Saillot, É. (2019). Évaluation par compétences : les préoccupations des enseignants en matière d’évaluation au cours d’une expérimentation des « classes sans notes » dans un collège français. Mesure et évaluation en éducation, 42(2), 35-61.

Lucie Béchard
Enseignante au primaire

Un peu plus sur l'autrice

Depuis 2009, Lucie Béchard est enseignante, principalement au 3e cycle du primaire. Le lien avec l’élève et l’épanouissement global de celui-ci sont les éléments qui guident ses décisions au niveau tant humain que pédagogique. En 2013, elle entame un microprogramme sur l’enseignement avec la littérature jeunesse à l’Université de Montréal. Elle développe une expertise dans ce domaine et se joint à l’équipe du blogue J’enseigne avec la littérature jeunesse. Depuis, elle a écrit plus d’une cinquantaine d’articles et offre plusieurs formations aux enseignants afin de les outiller dans la mise en place de pratiques innovantes en lecture et en écriture.

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